Culture Juvéniles (PDF)




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Author: Recherche

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LES CULTURES JUVENILES : CONSTANCES ET
TRANSFORMATIONS

Rapport de recherche
Sylvain AQUATIAS (dir.), M. POUPIN, P. PEUROT, N. LEVET, B. LARY,
M. MARSAT, D. HABELLION, P. BRUN.

MAI 2010

Programme Pluri-Formations « Interactions didactiques et langages », IUFM du Limousin
GRESCO, Université de Limoges
EHIC, Université de Limoges
DYNADIV, Université de Limoges

Cette recherche a bénéficié de l’appui d’un réseau particulièrement dense d’enseignants, CPE et chefs
d’établissements, né des collaborations entre l’IUFM et l’Education nationale au fil des années. L’équipe de
recherche suit cette même logique en associant des chercheurs chevronnés et des formateurs qui s’intéressent
depuis longtemps aux cultures adolescentes.
Elle propose une véritable pluridisciplinarité en fédérant sociologie, sciences de l’éducation et sciences
du langage, mais aussi arts plastiques, musique, lettres et documentation, et associe des chercheurs de
laboratoires différents.
Elle participe au PPF de l’IUFM du Limousin, mais s’adosse aussi à trois laboratoires, le GRESCO
(Groupe de Recherches et d’Etudes Sociologiques du Centre-Ouest), EA 3815 bi-site Poitiers / Limoges,
DYNADIV (Dynamiques et enjeux de la Diversité), EA 4246 multi-sites : Tours / Limoges / Poitiers, l’EHIC
(Espaces Humains et Interactions Culturelles), EA 1087 bi-site Clermont-Ferrand / Limoges.
L’EQUIPE DE RECHERCHE
AQUATIAS Sylvain (Dir.), Maître de conférences en sociologie, IUFM, Université de Limoges, équipe
Gresco, Universités de Limoges et de Poitiers ;
BRUN Philippe, PRAG d’arts plastiques, IUFM, Université de Limoges ;
HABELLION Dominique, PRAG de musique, Doctorant, IUFM, Université de Limoges ;
LARY Bernard, Professeur certifié de lettres modernes, Maître formateur, IUFM, Université de Limoges ;
LEVET Natacha, Maître de conférences en littérature française, IUFM, Centre de recherches sur les littératures
populaires et les cultures médiatiques, Université de Limoges ;
MARSAT Martine, Professeur agrégé de lettres modernes, Maître formateur, IUFM, Université de Limoges ;
PEUROT Pascale, PRCE en documentation, responsable des formations en Documentation, IUFM, Université
de Limoges ;
POUPIN Michel, PRAG en sciences économiques et sociales, chargé de mission TICE, IUFM, Université de
Limoges.
Avec la participation de :
AUCHATRAIRE Françoise, CPE, Maître formateur, IUFM, Université de Limoges ;
BEZIAT Jacques, Maître de conférences en sciences de l’éducation, UFR de sciences de l’éducation,
Université de Limoges, équipe Dynadiv, Universités de Limoges et de Tours ;
CHATARD Patrick, PRCE en documentation, IUFM, Université de Limoges ;
COLOMBEAU Roger, Ingénieur en informatique d'entreprise, responsable du Centre de Ressources
Informatiques, administrateur réseaux, ressources informatiques et systèmes d’information, IUFM, Université
de Limoges ;
COURTIOL-POUPIN Maïté, Professeur certifié de lettres modernes ;
DARRAULT-HARRIS Ivan, Professeur des universités en sciences du langage, IUFM de Limoges, CERES,
Université de Limoges ;
DELAUNE Anne-Marie, Conservatrice, IUFM, Université de Limoges ;
MURAT Marc, PRAG d’arts plastiques, chargé de la formation arts visuels, IUFM, Université de Limoges.

L’analyse statistique et la rédaction du rapport ont été réalisées par S. AQUATIAS.
N. LEVET, P. PEUROT, M. POUPIN, ont contribué à cette analyse par leurs réflexions et
leurs multiples relectures. Francis MARCHAN (GRESCO) a fourni une relecture attentive et avisée de
ce rapport et a rédigé le passage explicatif sur le PEM.
La présente enquête a fait l’objet d’une déclaration à la CNIL
Nous ne faisons pas figurer ici les noms des chefs d’établissement, enseignants et conseillers
principaux d’éducation qui ont permis la passation des questionnaires dans leurs classes et
établissements : la confidentialité des données ne nous le permet pas. Mais sans eux, ce travail
n’aurait pas été possible. Nous les remercions ici de leur aide et de leur collaboration à cette
recherche.
Nous tenons aussi à remercier le rectorat de Limoges, et plus spécialement J. Ravaille, de son
aide.

2

INTRODUCTION
Depuis les années 1950, le processus de socialisation des enfants et des adolescents a beaucoup
changé. Mais il apparaît à présent en transformation constante, agité d’un mouvement incessant qui
multiplie influences et références. Suivant en cela les recompositions de l’individualité dans notre
société (Ehrenberg, 1995, 1998), la construction identitaire des enfants est de plus en plus liée aux
modèles du développement de soi, la construction des goûts individuels apparaît plus précocement (De
Singly, 2000, 2006). Si l’on sait le poids des cultures familiales dans les apprentissages scolaires
(Terrail, 1990 ; Lahire, 1995), certaines théories accentuent à présent le rôle des amitiés juvéniles dans
la construction des références culturelles (Harris, 1999 ; Pasquier, 2005). Et que dire du rôle des
médias, parfois diabolisés, souvent décriés, dans les apports culturels ?
La diversification des sources dans la construction des cultures juvéniles ne peut pas être
ignorée. Travailler sur cet objet est un enjeu important pour l’éducation et la socialisation des enfants
et des adolescents, à l’époque où se développent les nouvelles technologies de communication, où se
modifient les influences parentales, où croissent les enjeux de la réussite scolaire.
Les débats actuels de la sociologie se constituent autour des transformations des schémas de
transmission culturelle : tantôt le rôle des parents est modéré au profit de celui des pairs, entrainant une
remise en cause de l’importance de la théorie de la légitimité (Pasquier, 2005 ; Macé et Maigret, 2005),
tantôt les transformations de la répartition des goûts dans la société française sont interprétés comme
une changement de nature des composants de la légitimation. Sans rentrer plus avant dans cette
question délicate (il en sera largement question dans ce document), ce bref résumé montre combien
nous avons besoin de données pour nourrir la réflexion. Mais s’il s’agit ici de mieux saisir le travail
des influences multiples et les pratiques concrètes qui peuvent en découler, il est aussi question de
mettre à profit ces apports dans la formation des enseignants, tant pour mieux comprendre les obstacles
qui se posent parfois aux apprentissages que pour pouvoir s’appuyer sur certains supports
pédagogiques permettant de faciliter l’acquisition des connaissances. Cette recherche est aussi conçue,
dès l’origine, comme la base d’expérimentations pédagogiques et didactiques, qui, si elles ne pourront
prendre forme dans l’immédiat, doivent être considérées comme partie intégrante du projet.
Mais avant tout, afin de bien expliciter notre propos, nous allons préciser certains éléments
constitutifs de notre problématique. Pour ce faire, nous allons d’abord examiner le concept de culture,
puis l’état de la réflexion et des données actuelles sur la question des cultures juvéniles (et de leur
confrontation aux cultures scolaires) avant d’exposer précisément la problématique et la méthodologie
de cette recherche.

3

LA CULTURE : UN CONCEPT EN PLEINE TRANSFORMATION ?
Il existe, en France, deux points de vue distincts sur la question selon que l’on se place sur un
plan anthropologique et relativiste ou sur un plan sociologique et hiérarchisé.
D’une part, la culture a été définie par les anthropologues comme « ce tout complexe qui inclut
les connaissances, les croyances religieuses, l’art, la morale, les coutumes et toutes les autres
capacités et habitudes que l’homme acquiert en tant que membre de la société » (Tylor 1876-78). Il
s’agissait donc de la totalité de ce qui était transmis par la socialisation spécifique à un ensemble social
déterminé. En anthropologie, ce concept a servi à caractériser des populations les unes par rapport aux
autres. En découlait une acception de la culture comme une unité relativiste, ne hiérarchisant pas les
différents peuples entre eux. Cependant, parce qu’elle agissait dans une optique comparatiste, cette
approche tendait à réifier la culture, la présentant de manière statique et parfois caricaturale. L’idée
selon laquelle chaque groupe humain et chaque culture seraient localisés dans un espace circonscrit et
cloisonné est désormais remise en cause, d’une part par l’existence de réseaux de contact culturel et
d’échange économique fort développés et, d’autre part, par l’extension des médias électroniques qui
permettent à des groupes et des individus de cultiver des sentiments d’appartenance indépendants des
ancrages territoriaux. Le concept de culture en acquiert davantage de perméabilité et de plasticité, ses
frontières sont moins strictement établies.
D’autre part, en France, Pierre Bourdieu et certains de ses collègues ont développé depuis les
années 1960 une autre approche de la culture, considérée comme l’ensemble des particularismes
distinctifs des différents milieux sociaux. Chaque groupe social est ainsi à même de voir naître des
habitudes et des goûts qui émergent de son histoire collective et de ses conditions matérielles de vie et
qui peuvent se transmettre à la génération suivante. Mais ces groupes se classent aussi entre eux.
Ecouter de la musique classique ou du rock, aimer les plats en sauce ou préférer les mets diététiques,
lire le journal ou le dernier prix Goncourt sont autant de goûts qui marquent une position dans la
hiérarchie sociale, alors qu’ils découlent aussi de la socialisation accomplie dans un milieu social
déterminé (Bourdieu, 1979). La culture des classes supérieures est devenue, à terme, la culture de
référence, s’inscrivant dans les politiques culturelles comme dans les programmes scolaires.
S’opposent ainsi des goûts légitimes, ceux de l’élite, et des goûts plus courants, plus populaires.
Cependant, depuis les années 1990, la légitimité des domaines valorisés de l’art ou des grandes
disciplines (les humanités) semble moins assurée. Les genres autrefois méprisés et dévalorisés, tels que
la bande dessinée, les romans de gare ou les séries télévisées acquièrent des lettres de noblesse par la
reconnaissance médiatique et par leur forte diffusion sur le marché (Lahire, 2004). La culture légitime
classerait-elle moins qu’auparavant ? Le traitement statistique proposé par Bernard Lahire montre
clairement que les profils culturels des personnes sont rarement cohérents par rapport à des canons de
4

légitimité ou d’illégitimité. L’enquête de 1997 sur les pratiques culturelles des Français (dont le travail
de Bernard Lahire est la continuation) marquait déjà ce type de phénomène : on y voyait une
hybridation importante de la culture « cultivée », malgré la permanence des clivages culturels en
fonction des appartenances sociales, et un fort développement des spécificités liées aux classes d’âge
(Donnat, 2003).

UNE CONFRONTATION DETERMINANTE : « CULTURE SCOLAIRE » ET
« CULTURE JEUNE »
Si, dans le passé, on a pu définir assez aisément la culture selon que l’on était sociologue ou
anthropologue, on le voit, dans un cas comme dans l’autre, les évolutions modernes remettent en cause
l’efficacité de conceptions bien tranchées. Certains mettent en avant la variété des approches (Bérat,
Lamy, 2008) en montrant que la culture peut être considérée soit comme un monde, soit comme un
champ, soit comme un marché. Probablement le problème est-il encore plus complexe quand on essaie
de spécifier ce que pourrait être une culture « jeune », définie tant par les intérêts des classes d’âges
que par les influences familiales, scolaires et médiatiques.
Pourtant, si l’on accepte le fait que des éléments de la culture acquis par les jeunes pourraient
faire obstacle aux apprentissages scolaires, il faut bien, pour poser les bases de cette recherche, définir,
au moins de manière provisoire, ce que l’on pourrait appeler une « culture scolaire » et une « culture
juvénile ».
Ainsi, si la culture scolaire semble bien correspondre à la culture transmise volontairement par
l’institution scolaire dans le cadre des programmes d’enseignement et d’éducation, elle varie en
fonctions des multiples interprétations que peut en donner chaque enseignant. Les multiples débats qui
occupent la commission des programmes et les réformes successives montrent que le consensus n’est
pas établi en ce qui concerne les matières, les programmes, les méthodes. Néanmoins, parce qu’elle
valorise avant tout l’écrit et la lecture (Lahire, 2008), les formes et contenus de la culture scolaire sont
proches de ceux des classes supérieures et laissent peu de place, puisque les programmes sont définis
de manière extrinsèque à leur public, aux savoirs et expériences provenant d’autres univers sociaux.
Plus encore, le fait que la réussite scolaire soit liée au moins en partie au capital culturel des parents et
plus spécifiquement encore au capital scolaire de ceux-ci (Patureau, 1992) montre bien que l’école
favorise ceux dont les savoirs et savoir-faire disponibles dans la famille sont les plus proches de la
culture scolaire. La culture scolaire, en ce sens, sert bien à classer et sélectionner, elle est partie
prenante du processus de légitimation culturelle et est un des instruments de la construction de la
culture, au sens sociologique du terme.
Face à cela, s’est affirmée, depuis les années 1960, une relative autonomisation des goûts
culturels des jeunes par rapport à ceux de leurs aînés. L’émergence de nouveaux rapports entre parents
5

et enfants, basés sur le dialogue et un moindre formalisme des relations (Fize, 1990), et l’augmentation
conséquente des équipements des foyers français en termes de matériel audiovisuel et informatique ont
permis à la fois une privatisation et une individualisation des pratiques culturelles : privatisation car
c’est dans l’espace domestique que nombre de pratiques de loisirs ont désormais lieu et
individualisation car, dans la famille même, les enfants peuvent avoir des pratiques plus personnelles
(Livingstone, 2001).
Un marché culturel entièrement consacré aux enfants, aux adolescents et plus globalement aux
jeunes a permis le développement de goûts et d’intérêts bien spécifiques : « les adolescents,
notamment, présentent, à l’échelle de la population française, une configuration particulière de
compétences, comportements et préférences culturelles qui constituent un ensemble de traits
suffisamment stables et cohérents pour les distinguer du reste de la population » (Donnat, 2003, p. 16).
De fait, un nouvel agent d’influence sur les comportements des jeunes s’est peu à peu révélé : les
jeunes eux-mêmes. Ce phénomène semble prendre toujours plus d’importance et parfois se démarquer
nettement des influences parentales et scolaires, au moins en termes de goûts, sinon de comportements.
« Pourquoi ne pas alors parler de « culture jeune » au même titre qu’on parle de culture
cultivée pour désigner les activités et les goûts caractéristiques des milieux diplômés ? » interroge
Olivier Donnat (2003, p. 15). La question est légitime. Le problème est que l’on a une faible
perception de ce que pourrait être une « culture jeune ». Laurent Tremel note bien que deux grandes
approches de la « culture jeune » coexistent à l’heure actuelle : d’une part, une psychologie à tendance
moralisatrice, d’autre part une sociologie qui postule une homogénéisation des modes de vie et une
hédonisation des pratiques (Tremel, 2002). Ni l’une ni l’autre ne nous satisfont pourtant. Comprendre
les cultures juvéniles suppose de se situer d’une autre manière et dans un contexte théorique plus large.

CULTURES ET SOCIALISATION
À la base de notre intérêt se trouve la recherche de la compréhension de ce qui, dans la culture
« jeune », peut favoriser ou non l’acquisition des compétences scolaires. À ce titre, mieux comprendre
la culture des enfants et des adolescents nécessite de se dessaisir des préjugés et des jugements de
valeur que tout adulte peut avoir lorsqu’il porte son attention sur les pratiques de ses cadets. Et cela
nous porte davantage vers une attitude relativiste qui considère que les choix culturels des enfants et
des adolescents correspondent à des intérêts et des goûts dignes de reconnaissance. Pour mieux
comprendre les choix adolescents, il faut bien accepter qu’ils sont cela : des choix. Certainement il ne
s’agit pas d’admettre un libre-arbitre sans limites, mais au contraire d’inscrire la notion de choix dans
un espace de contraintes et d’influences, de l’obligation scolaire aux ressources financières, de la
densité et de la variété des réseaux amicaux au style éducatif parental, de la taille de la fratrie à la
localisation résidentielle, etc.
6

Dans ce cadre, si la culture légitime (la culture scolaire) reste bien un outil de classement et
permet d’accéder à la promotion sociale, ses aspects les plus distinctifs et les plus normatifs semblent
diminuer au profit d’une culture plus diversifiée ou plus mélangée, tendance que l’on observe en
sociologie (Lahire, 2004) comme en anthropologie (Hannerz, 1996).
D’une part, à la fois principe identificatoire et principe distinctif, la culture est un ensemble
complexe dont une partie seulement constitue réellement le « capital culturel » au sens bourdieusien1.
Tout usage culturel peut avoir une valeur de différenciation : mais la mise en œuvre de cette
différenciation dépend de contextes variés et variables. Il faut donc plutôt accepter le classement dans
la hiérarchie sociale comme une caractéristique potentielle de tout choix culturel sans qu’il soit
nécessairement activé.
D’autre part, la légitimité des humanités, sur laquelle reposait le classement social, semble
moins assurée, du fait du développement des médias de masse et des nouveaux modes de
communication d’une part, mais aussi du développement des filières scientifiques qui accordent moins
d’importance aux classements basés sur le rare et l’esthétique.
Ce qui caractérise la notion de culture à l’heure actuelle, c’est sa constante évolution, en dehors
des schémas appliqués jusqu’alors. Perméabilité, omnivorité2, métissages, innovations, transmédialité,
influences complexes caractérisent la culture moderne. Le débat n’est plus seulement entre groupes,
mais parfois même à l’intérieur de l’individu (Lahire, 2004). La précocité des comportements (De
Singly, 2006) montre que le travail individuel d’acquisition de la culture est un enjeu de la constitution
de la personnalité, se déplaçant d’une légitimité construite autour de la culture savante vers une
légitimité construite autour de la diversité et de l’originalité (De Singly, 2000). Saisir la culture dans sa
réalité, aussi fluctuante soit-elle, nous oblige à mieux comprendre ses déterminants multiples et la
manière dont les goûts eux-mêmes se construisent. Il ne s’agit pas ici de remettre en question la théorie
de la légitimité, mais de voir en quoi les évolutions technologiques, la multiplication des influences
possibles, la moindre légitimité de certaines institutions (école et famille) vont jouer sur la construction
d’une culture différente, variant en fonction du genre3, de l’âge et du milieu social.
C’est ce qui constitue, de notre point de vue, l’obligation à se situer dans une compréhension
des mécanismes de socialisation non pas seulement en considérant les jeunes comme agis par les

1 Ne peuvent être incluses dans ce terme les caractéristiques de la culture des individus les moins légitimes et donc les
moins utiles socialement en termes de progression sociale, même si elles peuvent produire des bénéfices secondaires.
2 Le développement des références culturelles individuelles montre une aptitude croissante à apprécier la valeur d’une
gamme de plus en plus diversifiée de formes culturelles, y compris des expressions populaires et folkloriques. C’est ce
qu’exprime le concept d’omnivorité. Le passage à des goûts omnivores : notions, faits et perspectives, Peterson R.A,
Sociologie et sociétés, 2004, vol. 36, n° 1, p. 145-164.

3 Sylvie Octobre signale le renouveau des clivages liés au genre dans la culture des adolescents, en termes de choix comme
en termes de pratiques. Cf. Octobre S., La fabrique sexuée des goûts culturels : construire son identité de fille ou de garçon
à travers les activités culturelles, Développement culturel, n° 150, déc. 2005, et Octobre S., Pratiques culturelles chez les
jeunes et institutions de transmission : un choc de cultures ?, Culture prospective, janvier 2009, n° 2009-1, p. 5.

7

processus de socialisation, mais aussi comme ayant un rôle actif dans la sélection, l’adoption et
l’adhésion à une pratique culturelle. Il s’agit alors de restituer les processus d’institutionnalisation4 des
formes de culture juvénile et de comprendre ce qui les rend nécessaires à ceux qui les ont adoptées.
Cette compréhension des processus d’acquisition de la culture ne peut que se situer dans une
appréhension globale du processus de socialisation des enfants et des adolescents, par la saisie de leurs
pratiques concrètes et des déterminants de leurs choix. Entre la socialisation primaire et la socialisation
secondaire, qu’on lie habituellement à l’acquisition d’une culture professionnelle ou au moins de rôles
se rattachant à la division du travail, apparaissent maintenant des connaissances spécifiques et des
compétences particulières, liées aux activités de loisirs, qui permettent aux enfants et aux adolescents
de disposer d’une intégration et d’une reconnaissance sociale dans le monde des pairs. Ces éléments
culturels peuvent se rassembler de manière homogène dans le cas d’une sous-culture cohérente (le
courant gothique ou le free style proposent ce type d’univers) ou de manière hétérogène, rassemblant
des influences et des références variées, ou encore rester séparés et néanmoins intégrés à une
personnalité. Ils se construisent bien dès la socialisation primaire, en produisant des rôles plus ou
moins durables, qui peuvent se prolonger ou non dans la socialisation secondaire.
Ces cultures ne peuvent être saisies sans que l’on comprenne ce qu’elles peuvent apporter à la
construction identitaire. Qu’il s’agisse des jeux vidéo ou de l’internet, de la lecture ou des pratiques
amateurs, tout ou partie de la culture juvénile peut contribuer tant à l’enrichissement de l’enfant qu’à
un surinvestissement, nuisible à d’autres pratiques5. Il ne s’agit donc pas ici de prendre une position
moralisatrice, mais plutôt d’examiner à quelles conditions les confrontations entre les différentes
influences (famille, école, pairs, etc.) s’effectuent et comment elles s’harmonisent (ou non).
Les croisements de la culture scolaire (et probablement faudrait-il parler ici de cultures
scolaires, tant il peut exister de variations entre classes, établissements et régions), de la culture
familiale et des cultures juvéniles sont susceptibles de produire des parcours de socialisation variés.
Des dispositions vont naître de ces champs d’influence, qui seront plus ou moins transférables de l’un
à l’autre.
Cependant, la connaissance des cultures juvéniles est un préalable indispensable à la question
de la transmission et du transfert de compétences. C’est à ce préalable, avant tout descriptif, que nous
nous sommes d’abord consacrés ici.

4 « L’institutionnalisation se manifeste chaque fois que des classes d’acteurs effectuent une typification réciproque
d’actions habituelles. En d’autres termes chacune de ces typifications est une institution. » Berger P., Luckmann T., La
construction sociale de la réalité, Paris, Armand Colin, 1996, p. 78.
5 C’est le cas, par exemple, de certaines pratiques sportives. Cf. Aquatias S. (dir.), Risques et ressources de la pratique
sportive en club, Rapport de recherche, Ministère de la Jeunesse et des Sports, RES, 2003 et Aquatias S. (dir.), Pratiques à
risques, consommations de produits psychoactifs et dopants, activités sportives des jeunes, Rapport de recherche, Ministère
de la Jeunesse et des Sports, RESSCOM, 1999.

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METHODOLOGIE
Les résultats présentés dans ce rapport proviennent d’un questionnaire auprès d’un échantillon
représentatif d’élèves du Limousin, portant sur leurs activités de loisirs. Ces dernières nous ont semblé
les plus appropriées pour appréhender la diversité et la complexité des choix et des goûts.
Nous avons choisi d’étaler notre observation sur des élèves âgés de 11 à 20 ans6, de manière à
pouvoir observer les évolutions d’un âge à l’autre. Si, évidemment, ces changements ne concernant pas
les mêmes individus, on ne peut postuler qu’ils décrivent la réalité des processus d’élaboration des
goûts, ils nous permettent à tout le moins, sur un temps relativement court (sept ans), de décrire l’état
des goûts et des influences en matière de loisirs et de saisir leurs possibles transformations.
L’échantillon a été construit par la méthode des quotas en suivant plusieurs critères établis
grâce aux chiffres fournis par les services rectoraux : d’abord au niveau des grandes caractéristiques
des établissements (collège, lycée général et technologique, lycée professionnel, milieu rural, milieu
urbain), puis au niveau des élèves présents dans ces établissements (effectif, classe et sexe).
Afin de mieux lire les évolutions dans les pratiques culturelles juvéniles, nous avons choisi de
laisser un écart d’un an entre chaque classe interrogée. Nous avons sélectionné les classes de
cinquième, troisième et première. L’écart entre ces classes, en laissant le temps aux conséquences des
changements d’établissement (de l’école primaire au collège, du collège au lycée) de s’atténuer,
devrait permettre la saisie des évolutions que nous recherchons en construisant une avancée
chronologique entre niveaux. De plus, l’année de terminale mobilisant les énergies des élèves comme
des enseignants sur les épreuves du baccalauréat, il est plus difficile d’y opérer une passation dans des
conditions correctes.
Pour pouvoir comparer la filière générale et technologique à la filière professionnelle, nous
avons choisi de faire passer le questionnaire à des élèves de terminales BEP et de première
professionnelle. En termes d’année d’études, la terminale était bien l’équivalent de la seconde année de
lycée général et technologique. Néanmoins, il nous a fallu panacher notre échantillon pour obtenir des
classes d’âge comparables aux premières générales et technologiques. En effet, les élèves des
terminales BEP ont parfois un retard scolaire qui fait varier les âges au-delà de 18 ans. Pour cette
raison, nous avons interrogé aussi des élèves de première professionnelle, afin d’obtenir un échantillon
comparable en terme d’âge.
Nous avons retenu, pour classer les établissements, deux critères principaux qui recoupent les
possibilités d’accès à la culture.
D’une part, nous avons distingué les territoires ruraux et les territoires urbains. En effet, si l’on
essaie de comprendre ce qui agit sur les cultures juvéniles, on ne peut éviter de penser que les
6

Il s’agit là de l’étendue complète des âges. En fait, la plus grande proportion des élèves se situe entre 13 et 18 ans.

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